Niger, les enfants de la pluie

Magaria, Niger. 31 juillet 2021

Magaria, Niger. 31 juillet 2021

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos

Photos: Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Texte: Ahmad Samro, responsable de programme MSF, originaire d’un des villages de Zinder

A Magaria, dans le sud du Niger, beaucoup de personnes vivent encore de l'agriculture dans le village où elles sont nées. Chaque année, lorsque la saison des pluies et la période de soudure commencent, le paludisme et la malnutrition sont en forte hausse. Ces pics saisonniers touchent particulièrement les enfants de moins de cinq ans et leur famille. Depuis 2005, MSF travaille directement avec les communautés et les autorités pour accroître les efforts collectifs afin de répondre à l'augmentation des besoins. Limiter la mortalité des jeunes enfants est un défi commun dans un endroit où beaucoup se battent pour survivre. C'est un combat permanent pour les équipes MSF sur place, qui vient s'ajouter aux autres difficultés auxquelles le pays est confronté, l'une d'entre elles étant le changement climatique profond dans le Sahel africain. Dans la région de Zinder, Zied Ben Romdhane a passé dix jours à capturer la vie, la culture et les habitudes des habitants tout en saisissant le changement climatique, la malnutrition, le paludisme et les défis socio-économiques. 

Zinder, Niger. Belbeja 24 juillet 2021.

Zinder, Niger. Belbeja 24 juillet 2021.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos

A la rencontre de la différence

« Très jeune j’ai compris qu’il y avait d’autres valeurs et d’autres cultures qui, loin de nous appauvrir, nous apprennent à découvrir la différence et à nous en nourrir. Et un grand écart culturel entre deux personnes semble parfois inexistant. Voilà une pensée qui m’est venue en me remémorant ces jours aux côtés de Zied, le photographe tunisien venu voir et comprendre mon pays.

J’ai toujours fait des va-et-vient entre ma région d’origine et le reste du pays, pour les études et les autres métiers que j’ai exercés. Ensuite, c’était entre Zinder et le reste du monde quand j’ai rejoint les équipes internationales de MSF. Mais je suis toujours revenu. Quand on part, il y a un déchirement en soi, et quand on revient, il y aussi une phase douloureuse d’atterrissage. On a vu de la souffrance, des drames humains, et, inconsciemment, on transmet toujours cela à nos proches. Dans tous les cas, quel que soit l’endroit où je suis allé, j’ai tenté de ne jamais avoir d’école de pensée fixe, de ne pas rejeter de culture, et partout, j’ai toujours vu la richesse dans chacune des différences. 

Zinder, Niger. 24 juillet 2021.

Zinder, Niger. 24 juillet 2021. 

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos

Je suis de culture touareg, originaire de la région de Zinder. Mais en réalité, notre terre est un mélange multiculturel entre haoussa, peul, kanouri… Ce mixage ethnolinguistique a donné naissance à une nouvelle culture imprégnée de la fierté qui nous caractérise. D’ailleurs, pour la petite histoire, Zinder était la première capitale du pays, mais par manque d’eau, les autorités ont quitté Zinder. Comme quoi parfois, le destin d’un territoire tient à peu de choses…

Une terre de mixité sous l’œil du photographe

J’ai toujours été attaché à ma culture touarègue où la poésie, les contes et la tradition orale tiennent une place essentielle. Mais aujourd’hui, ces récits véhiculent l’idée que le temps est resté comme figé dans ses traditions ancestrales, et on en est nostalgique. La réalité est celle-ci : ce passé est révolu et il faut l’accepter.

Zinder, Niger. 5 août 2021.

Zinder, Niger. 5 août 2021. 

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Zinder, Niger. 24 juillet 2021.

Zinder, Niger. 24 juillet 2021.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Zinder, Niger. 30 juillet 2021.

Zinder, Niger. 30 juillet 2021. 

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Zinder, Niger. Belbeja 24 juillet 2021.

Zinder, Niger. Belbeja 24 juillet 2021. 

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
« J’ai vu changer cette région. D’abord d’un point de vue démographique, la pression sur les terres est énorme. Avec la transmission des héritages, les champs sont toujours plus morcelés, cela nécessite un changement de type de culture.  »

Les terrains normalement occupés par l’élevage se couvrent aussi de cultures agricoles, cela déstabilise l’équilibre économique. Ici, il y a des crises alimentaires et nutritionnelles à répétitions qui frappent les populations à divers degrés. Celle de 2005, raison pour laquelle j’ai rejoint MSF, a sans doute davantage marqué les esprits, mais cette réalité est récurrente ici. Les commerçants font donc crédit mais avec la fluctuation des prix, les familles doivent rembourser jusqu’à quatre fois le montant qu’elles ont engagé. La région de Zinder fait face à celle de Maradi et celle d’Agadez, qui sont des zones de fortes tensions sécuritaires, et cela pèse aussi. Enfin, le changement climatique est concret ici, les saisons des pluies sont désorganisées, les paysans ne savent plus quand semer. Les inondations des dernières années et l’appauvrissement des terres achèvent de détruire l’équilibre fragile de cette région. Ainsi, quand l’idée a émergé de faire venir un photographe pour saisir le Niger de 2021, et notamment ma région, Zinder, j’ai proposé de l’accompagner. 

Zinder, Niger. 25 juillet 2021. Le début de la saison des pluies qui annonce l'augmentation des cas de paludisme.

Zinder, Niger. 25 juillet 2021. Le début de la saison des pluies qui annonce l'augmentation des cas de paludisme.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Magaria, Niger. 3 août 2021. Un bébé reçoit un traitement dans l'unité pédiatrique de MSF à Magaria.

Magaria, Niger. 3 août 2021. Un bébé reçoit un traitement dans l'unité pédiatrique de MSF à Magaria.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos

On fait la même chose depuis des années, je me suis dit qu’il était peut-être temps d’avoir un œil extérieur, un œil professionnel pour aborder la malnutrition sous un autre angle. Ici, la malnutrition et le paludisme font des ravages dans les familles, et l’accès aux prises en charge médicales est compliqué du fait de la distance et des coûts. MSF est présente depuis des années dans toute la région et des progrès ont été faits grâce à l’engagement collectif des soignants, des communautés et des autorités. Mais cette crise chronique emporte toujours tellement de vies. 

« Par la présence du photographe, on pouvait peut-être mettre en lumière quelque chose de plus profond dans cette situation. Je voulais surtout qu’on puisse saisir les causes et pas seulement les conséquences visibles dans le quotidien et les grands espaces. J’ai toujours aimé les grands espaces… »
Magaria. 31 juillet 2021.

Magaria. 31 juillet 2021.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos
Magaria. 4 août 2021.

Magaria. 4 août 2021.

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos

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L’intensité de la vie dans l’instant photographique

Lorsque Zied est arrivé, je lui ai fait un briefing de base, pour qu’il comprenne où il était, en essayant de ne pas entacher sa vision, ni d’influencer sa perception à venir. Ensuite, il a été libre la plupart du temps. C’est quelqu’un d’autonome qui s’adapte et sait se faire adopter des gens ici. Je ne lui ai pas laissé la liberté totale non plus. Je crois qu’on a trouvé ensemble un juste milieu. Zied m’accompagnait dans mon quotidien, et il captait ce qu’il voulait. Il est très boulimique, mais dans le bon sens du terme ! Et les gens avaient plaisir à regarder Zied faire ses photos, d’ailleurs aujourd’hui quand je les croise, ils me reparlent de ce moment. Ils ont aussi vu dans ce photographe le moyen de se faire entendre, ou du moins de passer quelques messages.

Je trouvais important qu’on aille voir le quotidien des femmes car tout le reste du pays a changé, seules les femmes rurales sont restées en marge de ces changements. La charge de travail sur les épaules des femmes et des enfants reste énorme, et je sais les conséquences de cela sur leur santé. On a été dans plus d’une dizaine de villages, ceux de la zone agricole, ceux de la zone pastorale et ceux dans la zone tampon, entre les deux. Les familles en photo n’ont été choisies que par le hasard des rencontres. Zied est un professionnel neutre qui prend les photos selon ce qu’il sent. Le résultat est un magma de la vie quotidienne surprise dans l’instant. Et dans cet instant figé, on voit l’intensité de la vie. Quand j’étais petit, mon père avait des amis anthropologues qui prenaient des photos. Ces tirages nous parvenaient ici des mois et des mois après leur visite. Et je me souviens que revoir, après coup, ces moments figés sur papier photo, a toujours été un sentiment particulier. J’ai été bercé par ces images qui sont à la fois des souvenirs du passé et le partage d’un moment présent pour nous qui feuilletons l’album. Contrairement à la vidéo, la photo est un arrêt sur image. Elle nous parle silencieusement, nous fait réfléchir. 

« Chaque cliché de Zied, à première vue, me renvoie à mon environnement, à ce que je connais. Mais si je porte une attention particulière, je suis renvoyé à quelque chose de plus artistique. On devient des objets ou des sujets, et les visages au premier plan de la photo apparaissent plus grands qu’en réalité. La beauté de cet instant m’apparaît. Je ne veux pas faire passer de message aux personnes qui verront les images de Zied. La seule chose que j’aimerais de leur part, c’est qu’elles regardent avec intensité. J’aimerais qu’elles y voient mon quotidien, mes richesses, mes sourires, mon environnement. Peut-être qu’elles y voient mes souffrances.  »

Et que ce soient elles, qui me disent quelque chose, elles qui veulent partager quelque chose avec moi d’après ce qu’elles ont vu de moi dans ces instants. C’est ce qu’elles me diront qui m’importe. Je veux leur laisser la liberté de voir, à partir de leur propre spectre, la différence en moi, et ce que cette différence peut représenter comme richesse. »

Zinder, Niger. 30 juillet 2021.

Zinder, Niger. 30 juillet 2021. 

© Zied Ben Romdhane / Magnum Photos